À quelle fréquence les mutations épigénétiques -ces modifications
héritables de l'expression des gènes qui ne résultent pas d'une
modification de l'ADN- surviennent-elles ? Une question à laquelle des
chercheurs américains viennent aujourd'hui de répondre.
On a longtemps pensé que les êtres vivants étaient le simple produit de
leurs gènes, et des mutations qui les affectaient au fil des
générations. Plus précisément, il était acquis que, lorsqu'une
modification apparaissait dans le phénotype d'une population d'êtres
vivants (par exemple, l'apparition de feuilles plus petites chez telle
espèce de plante, ou d'un pelage de couleur différente chez tel
mammifère), puis que cette modification se transmettait aux générations
suivantes, alors cela ne pouvait qu'être le fruit d'une mutation
génétique.
Des mutations du phénotype qui surviennent sans modification des gènes
Or, ce n'est pas forcément le cas. En effet, on sait aujourd'hui que de
tels changements peuvent affecter des êtres vivants sans pour autant que
leurs gènes soient modifiés. Plus encore, ces changements héritables
bien que non issus de mutations génétiques peuvent être causés par des
facteurs environnementaux : une période de famine, de froid ou encore de
sècheresse est susceptible de induire des modifications chez un animal
ou un végétal (par exemple, un moindre développement de son organisme),
lesquelles sont ensuite capables de se transmettre chez ses descendants.
Un phénomène découvert depuis une dizaine d'années, et qui a donné le
jour à l'épigénétique, la discipline chargée d'étudier ce phénomène.
Pour mieux comprendre le mécanisme de l'épigénétique, prenons un
exemple. En 2005, les chercheurs Marcus E Pembrey et Lars Olov Bygren
ont montré que les habitudes alimentaires des grands-parents pouvaient
avoir des conséquences sur... leurs petits-enfants. Pour y parvenir, les
deux chercheurs ont décortiqué les registres paroissiaux de la petite
ville suédoise de Överkalix sur plusieurs générations. Ils ont ainsi
découvert que les hommes qui avaient connu la famine avaient des
petits-enfants moins susceptibles de développer des problèmes
cardio-vasculaires que ceux dont les grand-pères n'avaient pas connu de
période de famine. En d'autres termes, des modifications biologiques
issues de l'environnement (ici, une situation de carence alimentaire)
ont eu des répercussions biologiques sur les hommes de cette époque...
lesquelles se sont ensuite transmises aux générations suivantes. Le tout
sans passer par le biais de la mutation
génétique "classique". On parle donc ici de "mutation épigénétique" (ou encore d'"épimutation").
Des zones de l'ADN rendues silencieuses
Par quoi sont causées ces modifications héritables d'une génération à
l'autre, si ce n'est pas via mutation génétique ? "Ces modifications
sont issues de phénomènes chimiques qui affectent la façon dont les
gènes de notre ADN s'expriment, explique Nicolas Bouché (Inra / Institut
Jean-Pierre Bourgin, à Versailles) au Journal de la Science. Parmi ces
phénomènes chimiques, il y a par exemple la méthylation de la cytosine.
Soit la fixation d'un groupement méthyl, composé de 3 atomes d'hydrogène
et d'un atome de carbone, sur la cytosine [ndr : la cytosine est l'un
des 4 éléments qui composent l'ADN]. Or, la fixation de ce groupement
méthyl sur la cytosine a pour effet de diminuer, voire de stopper
totalement, l'expression de cette partie de l'ADN. Comme si, au fond,
cette partie de l'ADN devenait muette".
Résultat ? Cette zone de l'ADN cesse de coder les protéines qu'elle
produisait jusqu'alors. Ce qui peut engendrer des modifications
biologiques importantes chez l'être vivant (plante, animal) qui est le
siège d'un tel phénomène.
Or, une étude menée par des chercheurs américains du Salk Institute for
the Biological Studies (La Jolla, Etats-Unis) sur la plante Arabidopsis
thalania vient de montrer que ces mutations épigénétiques se
produisent... encore plus fréquemment que les mutations génétiques
"classiques". Un résultat publié le 15 septembre 2011 par la revue
Science.
Pour parvenir à ce résultat, le Pr. Joseph Ecker et son équipe ont
analysé l'évolution de 30 générations successives de plantes Arabidopsis
thalania, toutes issues d'un seul et même spécimen (donc d'un seul et
même ADN). Plus précisément, pour chaque plante, les chercheurs ont
scruté les zones de l'ADN où des groupements méthyl étaient susceptibles
de venir se fixer.
Résultat ? A chaque génération, l'ADN de Arabidopsis thalania a subi des
mutations épigénétiques sur plusieurs centaines d'endroits différents
de son ADN. Soit des mutations 5 fois plus nombreuses que les mutations
génétiques classiques observées dans le même temps.
Les mutations épigénétiques facilement réversibles
Un résultat important car il suggère que la mutation épigénétique
permettrait aux plantes Arabidopsis thalania -et peut-être aussi à
d'autres êtres vivants, comme l'homme- de s'adapter aux modifications
environnementales d'une façon plus souple et plus réactive que les
mutations génétiques classiques.
Pour Nicolas Bouché, "c'est un très beau résultat. Car il vient apporter
la preuve d'une intuition que les chercheurs en épigénétique avaient
depuis quelques années, mais qu'ils n'étaient jusqu'à présent jamais
parvenus à démontrer. En effet, on sait depuis quelques années déjà que
les mutations épigénétiques sont labiles, c'est-à-dire qu'elles sont
facilement réversibles [ndr: lire ce compte-rendu du CNRS pour mieux
comprendre cette question la laibilité des épimutations]. Cette labilité
suggèrait que les épimutations surviennent plus fréquemment que les
mutations génétiques. Le résultat de Joseph Ecker et de son équipe vient
confirmer cela".
Peut-être qu'avec les mutations épigénétiques X-men sera bientôt une réalité.
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